Catherine Warmoes, Hocus, Pocus...  Passe : portrait d’un magicien de la ville, Mai 2021



            Son pas est léger et souple ; l’écharpe de soie enroulée autour du cou flotte subtilement au vent ; sa veste violette ouverte sur une chemise bleue cobalt dévoile un corps menu : le petit homme intrigue. Il est une figure énigmatique, à la fois discret et extravagant. On le croisera au détour d’une rue commerçante, un jour sous l’aspect de livreur «Délivrénoo» ou «Takemeaway.com» et le lendemain en caissier Delhaize ou en vendeur «Genius» de l’Apple Store
            La flânerie est essentielle, voire le terreau des réalisations de Duffaut qui puise son inspiration du grouillement fou des métropoles. Les arrangements de denrées dans les vitrines, la signalétique des magasins, les emballages élaborés, les uniformes de travail brandés, les trottinettes et les vélos électriques sont autant de composantes de couleurs et de formes qui enflamment la ville. Pourtant, et c’est bien ce que Xavier Duffaut convoite en les identifiant, ces éléments sont les signes de stratégies de l’attractivité, de la consommation mais surtout les stigmates de l’exploitation, des inégalités et des violences liées à la compétition du marché.
            Ma rencontre avec Xavier remonte à la période où celui-ci entamait ses études à La Cambre. Sa véhémence, son esprit corrosif et son humour n’échappèrent pas à mon regard. Je me souviens d’une étonnante gravure à l’eau forte qui représentait, en traits vigoureux, noirs et précis, une ré-actualisation d’une scène de genre, peinte par Mattheus van Helmont au XVII ème siècle, dans laquelle des villogeois sont réunis dans une taverne. Duffaut imposait à l’image des éléments additionnels hétérogènes et incongrus : un phallus ou godemichet, à droite duquel un petit sac de boutique Dior, tous les deux reposant sur une étagère en bois. Dans l’angle droit de la composition, une reproduction d’une peinture suprématiste de Malévitch était accrochée au mur, tandis que des balles de tennis rebondissaient dans toute la surface de la composition. L’ensemble était travaillé avec soin et précision.
            Depuis cinq ans, les recherches de Xavier Duffaut embrassent une pluralité de techniques et de disciplines (collages, assemblages, détournements d’objets, pastiches, performances, art contextuel, sérigraphies, dessins) unifiée par une syntaxe visuelle. Elles s’inscrivent pleinement dans la culture de l’image. Image sociale. Image détournée. Image subversive.
Les re-créations de l’artiste ne sont ni des canulars, ni de tromperies.
            Xavier Duffaut revêt un costume de magicien pour désigner, parmi les objets quotidiens, les traces toxiques de la culture néo-libérale. Ce sont logos, emballages de friandises, packagings d’ordinateurs récents, publicités attrayantes, t-shirts dont la customisation est multipliée, bannières, drapeaux, enseignes... Par des processus d’analyse et de modifications subtiles, il met à l’œuvre la logique de la pensée et de la visualité pour nous inviter à nous départir de la souveraineté économique au profit de la souveraineté démocratique ou anthropologique.
            Abracadabra : la chose se transformera.
Dans les expérimentations de Xavier Duffaut, le signe de l’objet banal se laisse reconnaître mais n’apparaît pas comme à l’habitude. Sa signification est-elle maintenue? Parfois, seule une abstraction se laisse voir. L’artiste fait disparaître l’information ; il transforme le mot ou le logo ; il manipule et malmène les documents, cicatrices du temps. Il découpe et brûle des photos, les reconstruit ; il inverse les couleurs ; il réinvente des objets déjà créés; il détourne des ready-mades et détruit sous nos yeux leurs copies. Les images sont opérées au scalpel, soigneusement passées en chirurgie pour nous étonner ou pour nous surprendre. L’artiste par des glissements de sens soustrait le danger ; il empêche la nécrose de s’y propager ; il en retire la gangrène. Mais où est passée la chose à voir ? Que faut-il y voir ? Le jeune savant joue de l’ambiguïté et nous invite à nous questionner sur les mécanismes de la construction de l’image qui se présente réinventée.
            Xavier Duffaut est un habile illusionniste qui rend perceptible l’objet de besogne*. Il réorganise les catégories et fait apparaître à notre imagination de nouveaux sens, une autre logique. Il nous rappelle que les objets tendent à se constituer en un système de signes à partir duquel s’élabore la consommation. A l’instar de Jean Baudrillard, il nous propose des représentations du monde qui nous renvoient dans les mécanismes et les jeux complexes des modèles. Il joue d’images subliminales, non celles qui nous font acheter mais celles qui nous renvoient aux désastres consuméristes.
L’astucieux artiste, ambivalent, emprunt d’aspiration et de craintes, nous plonge par ses pièges visuels dans les méandres du star-système et nous guide, entre hommage et parodie, désir et critique, admiration et rejet, réalité et abstraction, sexe et mort, à revisiter les œuvres du XX ème siècle. Sa pratique récente et ses enjeux se définissent clairement sur l’analyse du contexte socio-économique, davantage depuis le début de la crise sanitaire du Sars COV 19 parce que les dérives commerciales avant cette pandémie se sont amplifiées.
            Dans ses dernières créations, il nous alarme. Très subtilement, il met à jour les signes de menaces qui opèrent par un méta-langage construit sur l’idée de contamination, d’emprunt, d’appropriation ou de contrefaçon. Certaines œuvres dissimulent, d’autres transforment l’objet d’étude qui garde une place signifiante.
            Ce prestidigitateur de l’image brouille les pistes d’une chasse à nos habitudes. Il nous invite à participer à une traque adroite dont l’intention est d’entrer en résistance : défier nos réflexes, combattre nos usages et distinguer le vrai du faux. En un formidable tour de main, par de délicates combinaisons de disparitions et de transformations, nous voilà presque préservés de l’aliénation et de la séduction des objets.
            Xavier Duffaut, cet enchanteur généreux, ce fou du roi, ce dandy lumineux, mène une quête de vérité élaborée au départ de questionnements personnels. Il partage sa pensée profonde sur le monde d’aujourd’hui et ses valeurs, sans aucune escroquerie, ni arnaque, ni mirage.
« Chaque fois que je le croise, je suis émerveillée par sa curiosité rayonnante et sa vision perspicace de notre quotidien. Il possède un don inestimable celui d’en saisir les failles pour les transformer en œuvres d’art ».

*La besogne des images, un ouvrage collectif sous la direction de Léa Bismuth et Mathilde Girard Filigranes Eds- 14-05-201